Lunatic « Les Vrais savent » 1997′
« Sorti en 1997′ sur la superbe compilation « L 432« , le morceau « Les Vrais Savent » du groupe Lunatic, composé de Booba et Ali, est rapidement devenu une pierre angulaire du rap français. À travers ce titre, les deux artistes esquissent une fresque complexe de la réalité des quartiers populaires en France, tout en développant une esthétique verbale et sonore qui marquera l’histoire du rap. Le morceau n’est pas seulement une dénonciation sociale ; il reflète une véritable identité culturelle en réponse à un monde perçu comme hostile et répressif. Cette thèse propose d’analyser ce morceau en trois axes principaux : l’analyse des thématiques abordées, l’impact stylistique et poétique de la chanson, et enfin, la place de ce morceau dans l’évolution du rap français.«
I. Les Thématiques Clés : Une Peinture de la Réalité Sociale
1.1. La marginalisation et l’exclusion
Le morceau « Les Vrais Savent » est ancré dans un discours de marginalisation sociale, où les artistes se positionnent comme les porte-paroles d’une communauté stigmatisée. La phrase « les vrais savent » sous-entend une expérience vécue, partagée, qui échappe au grand public, souvent déconnecté des réalités des banlieues. À travers leurs paroles, Lunatic dépeint une société à deux vitesses, où l’exclusion et l’injustice sont des réalités quotidiennes.
Les références à la violence, à l’incarcération et à l’oppression policière ne sont pas gratuites, elles servent à illustrer l’état d’abandon des populations issues des quartiers populaires. Le morceau expose une critique de la société française et de ses institutions, accusées d’entretenir un système répressif à l’encontre des jeunes issus de l’immigration postcoloniale.
1.2. La quête d’authenticité
Le concept de « vrai » est central dans la chanson. Il oppose deux mondes : celui de ceux qui connaissent et comprennent les réalités du ghetto et celui des imposteurs, ceux qui prétendent connaître sans véritablement partager les expériences du vécu de la rue. Ce concept d’authenticité permet à Lunatic de se positionner comme des artistes légitimes, dont le discours découle directement de leur réalité, et non d’une construction fictive.
Cet aspect est renforcé par la dichotomie entre les « vrais » et les autres, souvent assimilés à des traîtres ou à des hypocrites, qui trahissent la culture de la rue en la falsifiant ou en s’en distanciant. Lunatic établit ainsi une hiérarchie culturelle et morale au sein même des quartiers.
1.3. La critique du système capitaliste et de l’ascension sociale
La chanson aborde également la tension entre la quête de réussite matérielle et le rejet des institutions qui en facilitent l’accès. Les références à l’argent et aux biens matériels abondent, mais toujours avec une certaine ambivalence. Si la réussite financière est souvent valorisée dans le rap, ici, elle est également présentée comme une aliénation, un piège qui permet à l’État et aux élites d’exercer un contrôle sur les classes populaires.
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Cap’tain Café | France 3 | 19/03/1997
Première interview télévisée des deux membres du groupe de rap Lunatic, Ali et Booba. Ils parlent des paroles de leur chanson « Le crime paie » et se défendent d’inciter à la violence. Ils estiment que pour certains jeunes il n’y a plus d’espoir au niveau scolaire. Ils insistent sur le fait qu’ils sont simplement des rappeurs et non pas des assistantes sociales.
II. L’Impact Stylistique et Poétique de « Les Vrais Savent »
2.1. L’utilisation d’un langage codifié
Le style d’écriture de Lunatic dans « Les Vrais Savent » est marqué par une forte utilisation d’argot et de termes spécifiques à la rue. Le langage, bien que parfois hermétique pour un auditeur extérieur, participe à la création d’une identité collective au sein des quartiers. Chaque terme, chaque expression est chargé de sens, et permet à Lunatic de se connecter directement à une audience initiée. Ce choix stylistique sert à réaffirmer l’authenticité et la légitimité de leur discours.
2.2. L’esthétique du réalisme cru
Loin des fioritures, le morceau adopte une esthétique du réalisme cru, où les descriptions sont directes, presque brutales. Le flow de Booba et d’Ali est lent, posé, comme pour mieux appuyer la gravité des propos. Ce style contraste avec certains courants du rap plus festifs ou plus légers, mettant ainsi en avant la dimension sérieuse et engagée du texte.
Cette esthétique réaliste est renforcée par une production musicale minimaliste, qui laisse la place à la voix et au texte. La base instrumentale, sombre et lourde, crée une atmosphère oppressante qui renforce le sentiment de claustrophobie sociale que les paroles expriment.
2.3. La dimension métaphorique et poétique
Malgré le réalisme du texte, « Les Vrais Savent » fait usage de métaphores pour exprimer la complexité des situations vécues. Par exemple, la métaphore du labyrinthe ou de la jungle urbaine est utilisée pour décrire les difficultés à s’en sortir dans un environnement hostile. Ces images renforcent l’idée d’un système où il est impossible de se mouvoir librement sans être pris dans un piège.
III. La Place de « Les Vrais Savent » dans le Rap Français
3.1. Un tournant pour l’underground
Lunatic, avec ce morceau, s’inscrit dans une mouvance plus large de l’underground français des années 1990. En réaction à un rap de plus en plus commercialisé, ce type de morceau revendique une autonomie artistique et un refus de se conformer aux normes de l’industrie musicale. Il marque une rupture avec les représentations souvent édulcorées des quartiers et des banlieues, en leur préférant une version plus brute, plus réaliste.
3.2. L’impact sur les générations futures
Avec « Les Vrais Savent », Lunatic a posé les bases d’un rap engagé, centré sur la réalité des quartiers populaires. Des artistes comme Kery James, La Rumeur ou encore Rohff ont repris cette esthétique et ce discours pour en faire un élément central de leur propre production musicale. La notion de « vrais », comme synonyme d’authenticité, deviendra également un des leitmotivs du rap français, redéfinissant les critères de légitimité dans le genre.
3.3. L’évolution de Booba et Ali après Lunatic
Si « Les Vrais Savent » illustre un moment précis de l’histoire de Lunatic, il est intéressant de noter les trajectoires divergentes qu’ont suivies Booba et Ali par la suite. Booba, en solo, a évolué vers un rap plus centré sur le capitalisme et la réussite individuelle, tandis qu’Ali a poursuivi un discours plus spirituel et ancré dans l’engagement social. « Les Vrais Savent » capture donc un instant unique de cette collaboration, avant leur divergence artistique et idéologique.
« Les Vrais Savent » est un morceau qui transcende le simple cadre du rap pour devenir une véritable critique sociale et culturelle. À travers une esthétique verbale et musicale singulière, Lunatic a réussi à exposer les tensions et les contradictions de la société française à la fin des années 1990. La chanson est à la fois un témoignage d’une époque et un acte de résistance face à l’oppression systémique, ce qui en fait un classique intemporel du rap français. Le morceau a laissé une empreinte indélébile sur la scène musicale, non seulement en tant qu’œuvre artistique, mais aussi en tant que réflexion profonde sur l’identité, la marginalisation et la quête de légitimité.
Lunatic est un groupe de rap français emblématique formé dans les années 90, composé principalement des rappeurs Ali et Booba. Le groupe se distingue par son style brut et sa capacité à fusionner des textes profonds avec des productions percutantes. Leur parcours musical est marqué par leur premier projet marquant, Les Vrais Savent , un titre devenu incontournable dans l’histoire du rap français. Produit par DJ Sek, ce morceau est un exemple parfait de leur approche unique, mêlant des paroles incisives et un flow puissant. Le groupe était signé sous les labels Beat de Boul et Double H, qui ont contribué à leur diffusion sur la scène rap française.
Le morceau « Les Vrais Savent » a été un succès immédiat et a été samplé par plusieurs artistes au fil des années, attestant de son influence. Parmi ceux qui ont utilisé sourire cet échantillon figurent Mairo dans « Attentat Uzi », Deen Burbigo avec « Avertis », NAP en collaboration avec Shurik’n sur « Pas même un », et Ärsenik dans « Une saison blanche & sèche ». De plus, le morceau a été interpolé par Prince dans « Avertisseurs (Part. II) », soulignant l’impact durable de Lunatic sur le paysage musical du rap. Bien que Lunatic ait été un projet phare de leur carrière, il est important de noter que la séparation du groupe en 2003 a donné naissance à deux trajectoires individuelles : Booba a entamé une carrière solo couronnée de succès, tandis qu’Ali est resté fidèle à son approche plus intimiste et poétique du rap.
Liens
https://youtu.be/brwX0MVId6Q?si=3lWal9jg0yakhvK0